Dans un effort de collaboration, les partenaires en éducation trouvent des moyens d’inclure cultures, langues, connaissances et perspectives autochtones au curriculum de l’Ontario.
De Jennifer Lewington
Illustrations : Bruce Beardy, EAO
Dans un effort de collaboration, les partenaires en éducation trouvent des moyens d’inclure cultures, langues, connaissances et perspectives autochtones au curriculum de l’Ontario.
L’an dernier, l’Ordre a publié de nouveaux guides pédagogiques sur les normes d’exercice et de déontologie de la profession enseignante selon la perception d’un artiste des Premières Nations. Puis, l’inattendu s’est produit.
Nul n’aurait pu prévoir l’immense popularité dont allaient jouir les images anishinaabes que l’artiste Bruce Beardy, EAO, a créées afin de représenter les connaissances, les compétences et l’état d’esprit que l’on s’attend à trouver chez les membres de la profession, ainsi que d’illustrer leur engagement éthique pour l’empathie, le respect, la confiance et l’intégrité. Cela s’est traduit par quelque 100 000 demandes d’affiches de la part du personnel enseignant, des conseils scolaires et même d’organismes à vocation non éducationnelle. (Consultez oct-oeeo.ca/affiches pour les télécharger.)
«C’est un véritable cadeau à la profession et au public», déclare Déirdre Smith, EAO, chef de l’Unité des normes d’exercice de la profession et d’éducation.
Il y a deux ans, la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) demandait au pays de commencer une nouvelle histoire avec les peuples autochtones. La collaboration entre l’Ordre et M. Beardy est un exemple des mesures actuellement en place dans le domaine de la formation à l’enseignement en Ontario pour favoriser la réconciliation.
«Il est bon de constater que l’Ordre inclut les perspectives autochtones dans les programmes qu’il conçoit, souligne M. Beardy, membre de la Première Nation de Muskrat Dam. Être à l’écoute des idées et perspectives autochtones sur l’éducation, c’est un bon début.» Artiste, enseignant de langues autochtones et ancien chargé de cours à l’université, M. Beardy est actuellement conseiller pédagogique pour l’Independent First Nations Alliance, organisme desservant cinq communautés dans le nord-ouest de l’Ontario.
Le développement de relations officielles entre le secteur de l’éducation de la province et les groupes métis, inuits et des Premières Nations remonte à bien avant la CVR, mais ses 94 appels à l’action ont grandement accéléré les changements.
«L’Ordre travaille de concert avec les facultés d’éducation et le ministère de l’Éducation de l’Ontario pour établir un plan de travail qui assurera le succès des programmes dans la province», explique Roch Gallien, EAO, directeur de la Division des normes d’exercice et de l’agrément de l’Ordre.
Au cours des deux dernières années, l’Ordre a agréé un nouveau programme de formation à l’enseignement à l’intention des étudiantes et étudiants métis, inuits ou membres d’une Première Nation (et il y en aura bientôt plus). En outre, l’Ordre a élaboré de nouvelles lignes directrices et ressources pédagogiques qui tiennent compte de la contribution des organismes éducatifs se consacrant aux Autochtones; a offert des séances d’information sur les traités à l’intention des concepteurs et instructeurs de cours menant à une qualification additionnelle (QA); et a approuvé 22 ébauches de nouveaux cours de perfectionnement professionnel portant sur les Premières Nations, les Métis et les Inuits.
Stephanie Roy, EAO, directrice générale du Kenjgewin Teg Educational Institute (KTEI), un établissement postsecondaire de la Première Nation M’Chigeeng sur l’île Manitoulin (lequel collabore avec l’Ordre et la faculté d’éducation de l’Université Queen’s), croit que le travail des partenaires en éducation est gage d’un avenir prometteur. «[La CVR] a agi pour amorcer ces conversations difficiles dans un espace sécuritaire, et pour faire entendre la voix et les intentions de chacun», dit-elle.
Tout comme l’Ordre, les facultés d’éducation et le ministère de l’Éducation de l’Ontario ont réagi aux recommandations en matière d’éducation de la CVR (respecter les peuples autochtones; améliorer le taux de réussite scolaire; et reconnaître les droits linguistiques autochtones). Les enseignantes et enseignants jouent un rôle clé dans les nouveaux débuts auxquels on s’attend dans la salle de classe et ailleurs.
«Un enseignant qui, chaque jour, fait quelque chose d’important avec chaque élève provoquera un changement.» — Murray Sinclair, ancien président de la CVR
«Un enseignant qui, chaque jour, fait quelque chose d’important avec chaque élève provoquera un changement», fait remarquer Murray Sinclair, ancien président de la CVR, sénateur et deuxième juge autochtone au Canada.
M. Sinclair croit que, depuis la sortie du rapport de la CVR il y a deux ans, les premières étapes sont très positives. Mais il croit aussi qu’il faudra maintes générations pour se remettre de l’héritage tragique des pensionnats au Canada.
Le retard accusé en éducation permet de mesurer les répercussions négatives qui ont perduré pendant des générations. Statistique Canada rapporte que, en 2011, parmi les 25 à 64 ans, 45 % des Autochtones possédaient une qualification postsecondaire, comparativement à 64,7 % chez les non-Autochtones. Dans la même cohorte, 34 % des Autochtones n’avaient aucun certificat, diplôme, ni grade universitaire, comparativement à seulement 12,1 % des non-Autochtones.
«J’entends les dirigeants d’établissements, que ce soient des écoles, des conseils scolaires ou des universités, dire qu’ils ont l’intention de suivre la tendance, explique M. Sinclair. La question n’est pas de savoir si on veut bien faire, mais si on le fait bien.»
Pour nombre d’intervenants en éducation, la réponse à la question de M. Sinclair commence avec certains des appels à l’action de la CVR incitant à interagir avec des représentants et alliés des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Cela comprend «la pleine participation et le consentement éclairé des peuples autochtones; le respect et l’honneur des relations concernant les traités; et la reconnaissance du fait que les droits des Autochtones incluent les droits linguistiques autochtones», ainsi que la création de programmes et diplômes collégiaux et universitaires en langues autochtones.
«La CVR a servi de catalyseur, affirme Cathy Bruce, doyenne de l’éducation à l’Université Trent, laquelle a une longue histoire d’engagement avec les Premières Nations. Il y avait déjà beaucoup en jeu [et la CVR] nous a donné plus de possibilités.»
Au début de 2016, après l’introduction du programme de formation à l’enseignement de quatre sessions au lieu de deux, l’Ordre a accordé, à l’Université Trent, l’agrément à un nouveau programme de B. Éd. conçu pour les étudiants métis, inuits et des Premières Nations.
«Nous croyons que les élèves ont besoin de se reconnaître dans leur enseignant et, à l’heure actuelle, ce n’est pas le cas, affirme Mme Bruce. Nos écoles ont très peu d’enseignants autochtones.» Elle ajoute qu’il est important de savoir que le programme présenté l’automne dernier résulte d’une collaboration entre des leaders locaux des Premières Nations, le département d’études autochtones de Trent et des conseillers et aînés autochtones sur le campus.
Trent fait partie d’un nombre grandissant de facultés qui mettent au programme un cours obligatoire pour tous les étudiants en enseignement afin qu’ils acquièrent des connaissances et explorent des perspectives autochtones. En septembre, à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (IEPO) de l’Université de Toronto, les étudiantes et étudiants du programme de maîtrise pour enseigner aux élèves de la 7e à la 12e année suivront un cours obligatoire sur l’expérience autochtone en matière de racisme et de colonialisme. «[Désormais, les enseignants peuvent] acquérir une compréhension plus complète de l’histoire des pratiques coloniales très dommageables auxquelles on a eu recours», affirme Arlo Kempf, directeur adjoint du programme de maîtrise en enseignement.
Entre-temps, d’autres facultés ayant des relations déjà établies avec des partenaires autochtones ont créé de nouveaux programmes pour que les étudiants métis, inuits et des Premières Nations puissent obtenir un grade en enseignement sans quitter leur domicile, leur emploi ou leur famille.
Depuis 1991, l’Université Queen’s offre un programme de formation à l’enseignement à temps partiel à l’intention des Autochtones à l’île Manitoulin. Elle vient d’élaborer un nouveau programme en collaboration avec le KTEI. Ce programme à temps plein intègre une composante d’immersion linguistique (suivant les priorités du KTEI pour la préservation de la langue) et sera aussi offert sur l’île. Au lieu d’un stage alternatif de 15 jours, les étudiants peuvent choisir d’effectuer 90 heures d’activité pour se qualifier au certificat Anishinaabe Odziiwin du KTEI.
«C’est très important d’appuyer l’apprentissage des langues dans ces communautés, et ce, d’une façon qui leur permet de récupérer des connaissances culturelles et historiques qui ont été perdues à l’époque des pensionnats», confie Rebecca Luce-Kapler, EAO, doyenne de la Faculté d’éducation de Queen’s.
Dès l’été 2018, les étudiantes et étudiants iront à Queen’s pour la première session d’été et passeront les autres sessions au KTEI. Ce programme expérientiel comporte 17 semaines de stage pratique dans des écoles provinciales ou des Premières Nations, et comprend du contenu obligatoire en formation à l’enseignement aux Autochtones, dont la théorie et la pratique professionnelle.
«Grâce à la CVR, nos partenaires en éducation et en formation, comme l’Ordre et Queen’s, ne se contentent pas d’observer ce que nous faisons mais s’intéressent à la façon dont nous travaillons, affirme Mme Roy du KTEI. Nous avons pu examiner la relation que nous entretenons en mettant l’accent sur le respect et la diversité. C’est une voix autochtone qui semble être valorisée.»
À la Faculté d’éducation de l’Université Lakehead, laquelle entretient depuis longtemps des liens avec les communautés autochtones du nord-ouest de l’Ontario, les étudiantes et étudiants d’origine autochtone qui souhaitent enseigner du jardin d’enfants à la 6e année s’inscrivent au B. Éd. de quatre ans, alors que ceux qui veulent enseigner de la 7e à la 12e année suivent le programme de formation à l’enseignement à l’intention des Autochtones. Les deux programmes mettent l’accent sur le patrimoine, l’identité et la langue. Pendant l’été, la faculté offre aussi un certificat et un programme de diplôme pour les instructeurs de langues autochtones.
«L’Université Lakehead était déjà très engagée dans le domaine de l’éducation autochtone, mais la CVR a renforcé cet engagement», déclare John O’Meara, doyen de l’éducation.
À la lumière d’une nouvelle entente entre la Première Nation de Sandy Lake et la faculté, celle-ci prévoit offrir cet automne un programme de B. Éd. avec mention de six ans, sur place, dans la communauté du nord. On s’attend à accueillir une cohorte de 20 à 25 étudiants.
«Nous voulions offrir plus de possibilités [de devenir enseignants] en donnant des cours sur place, quelques autres en ligne et d’autres en présentiel à Thunder Bay, affirme M. O’Meara. Pour nous, [l’entente avec Sandy Lake] est un modèle à suivre pour les prochaines ententes. Nous souhaitons offrir ce genre de possibilités ailleurs dans le nord-ouest de l’Ontario, car il y a là un besoin pressant d’enseignants.»
L’Université Nipissing, à North Bay, offre des programmes à l’intention des personnes d’origine autochtone depuis 35 ans. Récemment, on a mis de l’avant des initiatives afin d’augmenter le nombre d’étudiants autochtones et de donner des cours sur l’histoire et la culture autochtones à tous les étudiants en enseignement, conformément aux attentes de la CVR, de dire Carole Richardson, EAO, doyenne de l’école d’éducation Schulich de l’Université.
«[La CVR] nous a forcés à prendre du recul, à examiner les efforts déployés jusqu’alors pour mieux voir comment nous pouvions les harmoniser dans tout l’établissement», souligne-t-elle.
Le programme d’aide-enseignant dans son classe d’élèves autochtones, établi de longue date, est désormais offert dans la communauté, à Kenora, en partenariat avec le Bimose Tribal Council, qui regroupe 10 communautés anishinaabes. «L’organisme nous a demandé d’offrir le programme dans son coin de la province à ses enseignants et aides-enseignants pour répondre au besoin de perfectionnement professionnel», affirme Mme Richardson.
La collaboration, un élément distinctif des nouveaux programmes de formation à l’enseignement, est une composante de plus en plus importante de l’apprentissage professionnel authentique des enseignants déjà membres de l’Ordre.
«Quand ils ont recours à des pratiques éthiques dans les communautés des Premières Nations, nos membres donnent vie aux normes de déontologie, déclare Déirdre Smith. Nous reconnaissons que ces communautés doivent être maîtres de ces processus. Nous avons été en mesure de briser les barrières pour permettre à [ces organismes autochtones] d’accéder à ces QA et de faire preuve de leadership dans leur contexte.»
Par exemple, l’Ontario Native Education Counselling Association (ONECA), qui offre son propre programme pour devenir conseiller auprès des Autochtones depuis 1977, est désormais un partenaire égal de l’Ordre et d’autres organismes en ce qui concerne la rédaction des ébauches de lignes directrices de nouveaux cours menant à une QA à l’intention des enseignants qui conseillent des élèves autochtones.
«L’Ordre demande maintenant aux peuples autochtones de l’aider à rédiger des lignes directrices. C’est un effet direct de la CVR», affirme Roxane Manitowabi, directrice générale de l’ONECA. Elle dit que, par le passé, on s’attendait à ce que son organisme suive les lignes directrices déjà prêtes, sans grande souplesse quant à la mise en œuvre dans un contexte autochtone.
Tungasuvvingat Inuit est un autre collaborateur qui participe à la rédaction de la ligne directrice du programme de conseiller. Cet organisme, qui existe depuis 30 ans, offre de l’appui social, des activités culturelles et des conseils aux communautés inuites de l’Ontario.
«Une grande partie des difficultés que les organismes inuits et des Inuits qui vivent dans le sud [du Canada] doivent surmonter vient du fait que personne ne connaît bien leur culture, confie Qauyisaq Etitiq, conseiller en politique sur l’éducation pour Tungasuvvingat Inuit. C’est une intervention nécessaire auprès des enseignants, et ils vous diront qu’ils n’en savent pas assez sur les Inuits.»
Sur le travail avec l’Ordre en tant que partenaire égal, M. Etitiq affirme : «Nous marchons ensemble vers la réconciliation.»
Un jalon important : Six Nations Polytechnic, établissement postsecondaire fondé par des communautés de la Première Nation de Grand River dans le sud de l’Ontario, est le deuxième organisme d’éducation autochtone approuvé pour offrir des cours menant à une QA.
«Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, affirme la présidente de Six Nations, Rebecca Jamieson, EAO, dont l’établissement de 25 ans est en train d’aider l’Ordre à concevoir une nouvelle ligne directrice pour un cours menant à une QA dans le domaine de l’enseignement et du leadership dans le contexte des Premières Nations, des Métis et des Inuits.
«Nous sommes toujours restés en périphérie de ce qui se passait en éducation. Cette situation est toutefois en train de changer», reconnaît-elle.
Six Nations est en phase de devenir fournisseur d’un programme agréé de formation à la direction d’école à l’intention des Autochtones. «Ce projet nous permet d’exercer une influence sur la profession en matière de leadership et de perfectionnement professionnel», ajoute-t-elle.
Fidèle à ses racines, Six Nations est en train d’élaborer de nouveaux programmes d’immersion linguistique. Entre-temps, en 2015, l’Initiative de la Famille Martin (fondation établie par l’ancien premier ministre Paul Martin en vue d’améliorer le rendement scolaire des jeunes Autochtones) a communiqué avec l’Ordre pour discuter de l’agrément d’un cours de qualification à la direction d’école visant des leaders des écoles des Premières Nations financées par le fédéral.
«Nous savons que, dans les écoles des Premières Nations, il n’existe pas autant d’occasions de perfectionnement professionnel en leadership que dans le système provincial», affirme Carlana Lindeman, EAO, directrice des programmes en éducation de la fondation ayant travaillé avec l’IEPO pour élaborer le cours.
Il y a bien quelques nouveaux efforts d’apprentissage en enseignement et de perfectionnement professionnel, mais seul un engagement soutenu de toutes les parties peut assurer un meilleur avenir pour l’éducation des élèves autochtones.
À ceux qui ont fait les premiers pas, Murray Sinclair offre son encouragement : «Si nous adoptons la vision que nous avons illustrée dans le rapport [de la CVR], nous commencerons à percevoir des changements systémiques qui, en fin de compte, rendront la réconciliation concrète.»