David Suzuki se souvient de Louise Wyatt

Question de confiance

 

«Mlle Wyatt était redoutable, absolument effroyable. C'était un grand personnage.»

David Suzuki

David Suzuki a commencé l'école en retard, bien à contrecour.

Il est maintenant une personnalité scientifique bien connue des médias. À cinq ans, le petit David, qui vivait alors à Vancouver, a vécu une période traumatisante lorsque sa famille a été expédiée au centre de la Colombie-Britannique, victime de l'hystérie collective déclenchée par le bombardement de Pearl Harbor. C'était alors 1942 et les personnes d'origine japonaise étaient, pensait-on, susceptibles de compromettre la sûreté nationale. Les parents de David étaient nés au Canada et parlaient anglais à la maison, mais les Suzuki ont néanmoins été confinés à des baraquements érigés près de Slocan dans le Kootenay. C'est à ce moment que la vie de David Suzuki a pris un tournant décisif.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique a refusé de financer l'éducation des enfants internés, mais le gouvernement fédéral est finalement intervenu et deux enseignants se sont retrouvés avec la lourde tâche d'instruire des centaines d'enfants.

«J'ai commencé l'école à 7 ans. Ils m'ont fait sauter trois années en l'espace d'un an. On me faisait faire des divisions et des multiplications en 4e année et je n'y comprenais rien. Mon père m'a donc aidé avec l'orthographe et les maths. C'est aussi de lui que je tiens ma soif des grands espaces. C'était un mordu de la pêche et il m'emmenait faire du camping et de la randonnée.»

Après la guerre, les internés ont nourri l'espoir de retourner chez eux. Mais leurs maisons et tous leurs biens avaient été confisqués et vendus aux enchères pour une fraction de leur valeur. Le gouvernement, menaçant de les déporter au Japon, les a obligés à s'installer à l'est des Rocheuses avec seulement le maigre contenu de leurs valises.

Les Suzuki sont venus travailler en Ontario comme ouvriers agricoles à Leamington, près de Windsor, où David a vite appris que le travail et une bonne éducation représentaient son seul moyen d'échapper à cette vie de pauvreté. Lorsque sa famille s'est installée à London, il s'est inscrit au London Central Collegiate Institute.

Louise Wyatt l'y attendait.

«Mlle Wyatt était redoutable, absolument effroyable. Ses normes élevées lui donnaient une présence très forte.

«C'était un grand personnage. Elle voulait toujours obtenir plus de moi que je ne pouvais lui donner. Même si j'obtenais un A, elle me laissait savoir que j'aurais pu faire mieux.»

Louise Wyatt enseignait la littérature anglaise et la composition.

«Elle était formidable. Je me souviens qu'elle se prenait à réciter de longs passages de Shakespeare sans aucune gêne et elle a même écrit une pièce de théâtre à laquelle j'ai participé. Nous voulions tous répondre à ses attentes car nous l'admirions beaucoup.

«J'ai une anecdote à vous raconter. À la fin de la 13e année, nous devions passer des examens normalisés. Je venais de finir l'examen de composition anglaise quand je suis tombé sur Mlle Wyatt qui m'a demandé quel sujet j'avais choisi pour écrire ma dissertation. Lorsque je lui ai dit que j'avais choisi de raconter une journée au cirque, son visage a changé. J'avais opté pour la facilité en décrivant le cirque, ses couleurs et ses odeurs. Je me souviens encore combien elle avait été déçue. Elle savait que j'avais délibérément pris le sujet le plus facile.»

David Suzuki et Louise Wyatt au cours de l'enregistrement de Life and Times, la série télevisée de biographies de CBC.

Louise Wyatt n'a pas directement influencé le choix de carrière de David Suzuki. Il a toujours su qu'il voulait étudier la biologie.

«Pourtant, elle m'a profondément touché et c'est pour cela que je suis également devenu écrivain. De nombreux étudiants en sciences sont de pauvres rédacteurs qui se disent "Moi je suis scientifique, je n'aurai pas à écrire". Et bien moi, j'étais écrivain. J'ai toujours pensé que c'est grâce à Mlle Wyatt.»

Après le secondaire, M. Suzuki a perdu de vue son enseignante. Plus de 40 ans plus tard, ils se sont retrouvés au cours de l'enregistrement de Life and Times, la série télévisée de biographies de CBC.

«L'équipe de l'émission l'a trouvée dans une maison de retraite à London. Elle avait dans les 90 ans, une petite femme toute rapetissée. Pour l'enfant que j'étais, elle faisait six pieds six!

«Elle m'a agrippé la main et m'a dit : "Je me souviens de votre visage. Il était si vivant, mais un nuage noir venait parfois l'assombrir."

«J'étais plutôt solitaire à l'école secondaire, conscient d'être japonais. Je lui ai dit devant la caméra que j'avais été un enfant gêné et je lui ai dit aussi que j'avais eu le sentiment de ne pas avoir été à la hauteur de ses attentes. C'était émouvant.»

David Suzuki et Louise Wyatt sont restés en contact jusqu'à la mort de l'enseignante il y a quelques années.

Bien qu'il ait été un adolescent solitaire, David Suzuki a bien réussi à l'école et a même gagné une bourse d'études à l'école privée Amherst College au Massachusetts, qui l'a formé en tant que chercheur.

Ses cours d'embryologie et de génétique le captivaient. Il se souvient clairement de ses classes de biologie de 3e année. «William Hexter nous présentait un domaine de la génétique et nous posait des questions : votre famille a les cheveux foncés et les yeux bruns, mais un des enfants est roux avec les yeux clairs. Comment est-ce possible? M. Hexter fabriquait des casse-tête intéressants. Il transformait la génétique en un travail de détective.

«Quand je suis moi-même devenu enseignant, j'ai essayé de lancer des défis à mes élèves en présentant des faits intéressants sous forme de mystères à éclaircir. Je me suis inspiré de la méthode de M. Hexter.»

William Hexter est maintenant retraité, mais il est resté en contact avec son ancien élève. «Il a joué un rôle clé dans l'obtention de mon diplôme honorifique d'Amherst, une de mes plus grandes distinctions académiques.»

David Suzuki est sorti diplômé d'Amherst en 1958, puis a obtenu un doctorat en zoologie de l'Université de Chicago en 1961. C'était une époque passionnante pour un scientifique et il en est venu à croire que la science pouvait éliminer la superstition et l'ignorance. Il est revenu au Canada pour enseigner la génétique à l'Université de l'Alberta, puis à l'Université de la Colombie-Britannique.

Poussé par ses étudiants, Suzuki a beaucoup lu sur le prolongement pratique de la génétique. Il a commencé à comprendre qu'on s'en était servi pour justifier l'incarcération des Canadiens de souche japonaise durant la Seconde Guerre mondiale.

«Cette intersection grotesque de deux grandes passions dans ma vie – la génétique et les droits civils – s'est avérée une confrontation déchirante entre science et société, a-t-il écrit. Les scientifiques ont besoin d'en savoir plus sur les ramifications sociales de leurs activités comme le révèle l'histoire [...]. Nous devons surtout encourager le discours public sur la connexion qui existe entre la science et la société, et appuyer les élèves et les collègues qui entrent dans l'arène.»

Dans ce but, David Suzuki a écrit plus de 30 livres, dont des livres de sciences pour les enfants, et a animé des séries télévisées primées. Dans l'émission de CBC, The Nature of Things, Suzuki vulgarise la science.

Ainsi, il encourage le débat sur la science et la société, une discussion entamée par son père, affinée par son enseignante d'anglais au secondaire, et inspirée par son professeur de biologie à l'université et ses propres étudiants.


David Suzuki est un scientifique ayant reçu maints prix, un environnementaliste, un écrivain et une personnalité de la télévision. Professeur émérite de l'Université de la Colombie-Britannique et président de la Fondation David Suzuki, il espère mener le Canada vers une écologie durable d'ici 2030. Il vit à Vancouver avec sa femme Tara Cullis et ses deux enfants.

Louise Wyatt a enseigné l'anglais à London jusqu'à sa retraite en 1969, après 35 années de carrière. Elle s'est éteinte en 2000 à l'âge de 92 ans.